Mot du jour du 25 juin

La saisie

Le Vieux Fourneau

Frotter, dégage toujours de la chaleur. Nous savons tous cela par expérience. Le chaud est agréable, réconfortant, guérissant.
            Quand on étudie ce qui  pourrait nous rendre plus stable, plus heureux, en meilleure forme, on va chercher et trouver l’enseignement qui nous comblera. On y découvrira un peu de réconfort, un bain relaxant mais qui au fil des années pourrait sembler de plus en plus fade. On se lasse. L’habitude, la routine due au maigre objectif qu’on s’est fixé entrainera à coup sur, cette baisse d’enthousiasme. La porte aux comparaisons, aux rivalités, aux déceptions, aux influences néfastes, est ouverte. On s’y engouffrera avec la ferme conviction d’avoir raison.
            Cela n’incombe pas au contenu de la pratique mais à la manière dont nous l’abordons. Il n’y a pas de saisie véritable, on consomme au gré de nos envies et de nos maigres possibilités.
            Pour certains privilégiés qui ont pu faire la décision : se mettre en route sur la voie du cœur, de l’âme, dans le choix de la pratique, le risque est bien différent. Le chaud de l’étude frôlera la brûlure. Des sensations désagréables pourraient apparaître. Notre rapport à une vraie pratique sera toujours inconfortable.
Le privilégié, lui, s’engouffre dans le chemin pris. Il s’est fixé une voie, une cime. Ce point culminant et profond ne dissimule en rien les doutes qu’il traversera régulièrement. Dans ces moments il y aura toujours ce sursaut d’aller de l’avant car dans l’humilité qui porte, on se dit : je n’y suis pas encore.
            Au début, le s’engouffrer n’est pas toujours conscient, il est un élan spontané, non réfléchi, mais où la sincérité, l’innocence transpire.
            Pour ces personnes, situation que je connais bien pour la côtoyer régulièrement, la période où l’on faiblit sera comme un  cadeau qui pourrait nous remettre en marche. Et dans ce moment, que l’on pourrait nommer zone morte, qui dure parfois des années, il nous semble que rien ne pourra redevenir comme avant, cette découverte est primordiale ! Nombreux sont ceux qui « craquent » à ce passage.
Quand on s’avance sur ce chemin de plus en plus étroit et rude, on ne manque pas d’approcher le maître. A ses côtés il fait chaud. Le Vieux Fourneau brulant d’un feu sacré ne laissera rien au hasard. Ses flammes vous transperceront et toujours au moment où l’on ne s’y attend le moins.
Oui, le professeur que nous côtoyons déjà depuis longtemps est là et nous l’avons choisi. Ce « nous » est bien plus qu’une décision, plus qu’un choix. Il participe d’un mouvement  au delà de nos conceptions. C’est un  se laisser faire , une trajectoire que la Nature nous offre comme  le jour succédant à la nuit, le printemps à l’hiver, le fruit à la fleur, la mort à la naissance.
            Souvent la position intenable nous invite à retourner à notre raison. Les arguments, toujours habiles nous ramènerons à l’ancien démon de l’ignorance.
            Nous grimpons ainsi de marche en marche. Près du foyer, les apparences risquent d’amoindrir les flammes. Il nous faudra alors ne point en tenir cas et nous jeter plus que jamais en avant.
Le monde de la vie de tous les jours est le milieu des apparences, celui où l’on tergiverse, ou l’on discute dans les désaccords, où l’on marchande, où l’on fait la guerre. Nous pourrions alors le rendre plus humain, plus joyeux, plus serein, en privilégiant l’univers de la pratique, cet espace du monde qu’on ne voit pas.
            Ce passage, de l’autre côté du mur, comme l’a exprimé dernièrement notre professeur, n’en fini pas de se découvrir. Il se fait par l’application à l’étude et il est essentiel de réaliser que chaque moment de notre vie peut être influencé par la pratique.

Ce monde est habité de silence, d’une tension fraiche.
Il est sans explication.
C’est la présence d’un arbre.
Les yeux d’un enfant.
La solitude d’une vieille dame sur le trottoir d’en face.
Notre sensation se déplaçant entre ventre et poitrine.
La musique sans la célébrité.
Les arts sans l’argent.
La poésie,
La liste pourrait être très longue aux couleurs des sensibilités de chacun dans nos interminables débuts.

Le mur existe tant qu’il n’est pas franchi, une fois traversé, il disparaît.

 

Bernard Bleyer

Un jour

Un jour, bientôt peut-être.

Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.

Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.

Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.

D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ».

Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.

(...)

Henri Michaux