Mot du jour du 9 mars 2017

La course

Si j’ignore encore qui je suis, il me semble ne pas ignorer ce que je ne veux point devenir. Cela s’inscrit  dans l’intimité et dans les faires, au tout de ce qui se rencontre jusque dans les fragilités tentatrices.  Au-delà de cette union, il est probable qu’ y réside ce qui touche à la foi,  celle ci ne révélant  que les croyances ignorantes  de  ce fond qu’elle exprime, oui, cette loyauté aux lèvres sèches comme une soif qui semble toujours grandir.

Le « grandir » se révèle ainsi comme une vaine course effrénée. Il en est d’autres tout aussi stérile.

Les chercheurs de tous azimuts dispensent leur quête dissimulée. Avoir plus et plus et encore plus. Le monde nature se tord sous ces assauts. L’augmentation est devenue manière à être, à penser, à devenir. Personne ne semble plus y échapper. Nombreux sont ceux qui s’affichent clairement ainsi : politiques, chefs d’entreprise, journalistes, puis l’imprégnation malfaisante fait son œuvre, les artistes, les maîtres des pratiques nobles agissent ainsi. Et cette  pression pèse sur les arbres, la terre, les eaux, l’air. Rien ni personne ne semble pouvoir échapper à cette terrible grisaille. Quelques îlots lumineux, ici ou là flottent, émergeant des normes ambiantes.

Dans cette opacité encrassée, la cavalcade n’en fini point. Avidité ordonnée où les défenseurs de la Nature sont enlisés, récitant régulièrement leurs discours déconnectés.

Les mots des poètes pourraient nous élever au-delà des conventions et de nos habitudes. Le monde de mes pratiques pourrait aussi au moins être un bain  où je pourrais régulièrement me  plonger, me ressourcer. Il n’en est rien, pire encore !

Dans le grand amalgame des Recherches, les leaders s’étalent sans approcher un tant soit peu les maîtres côtoyés dans  notre jeune temps.

La course aux élèves devient la motivation première. Cet attachement engendre la médiocrité des enseignements oubliés. On picore à droite et à gauche, on copie, on s’allie, on s’aliène  en stages communs, on mélange les pratiques, bien sûr toujours dans des apparences de sainteté.

Le niveau des maîtres n’est pas en cause. Petit maître  grandira avec son petit groupe à sa mesure. La modération nous guide dans tous ces  possibles, la loi du possible. Le professeur   ne peut  courir à une célébrité factice. Sa gloire réside dans la reconnaissance de ses propres étendues. L’état de novice ne peut en aucun cas être une excuse,  aucun stratagème  pour attirer, mais  une ordonnance de la terre, la Gravité. Elle  fera choir l’un dans l’autre, et élèves et professeur.  Oui la gravité : ce qui attire, ce qui colle, ce qui soude. Là encore la nature nous sert d’exemple, d’inspiration. Ce qui doit se rencontrer va se joindre sans faux-semblant ni séduction ou convivialité facile. Dans cette coïncidence la fusion brûle les parties, chacune transformant l’autre dans une créolisation aimante.

L’œuvre ainsi commencée pourrait-elle grandir en harmonie avec l’artisan lui-même, sans  être séparée de son auteur ?

Dans la course  effrénée s’installe : lassitude, ennui, déception, comparaison, attente, d’où une grande  perte d’énergie … Cela naviguera, flottera parmi  les manques superficiels réalisés ou pas.

Pourtant l’insatisfaction profonde est là, lumineuse et tellement ignorée.

Elle est notre accès, cratère d’où jaillit une multitude de perles précieuses, Elle est une étincelle dégageant des réponses silencieuses. C’est une confiance dont on ignore la teneur. Reconnaître cette insatisfaction  est un abandon,  pour y accéder il nous faudrait ralentir, diminuer nos faires, réduire nos gains, lâcher nos désirs  et dans cette quiétude retrouvée,  recueillir juste la goutte de rosée de nos mains aux  doigts maladroits. Là je pourrais retrouver le Bien perdu, celui là qui ne fait de l’ombre à personne. Là réside l’urgence et seulement là !

Bernard Bleyer