Mot du jour du 25 décembre

Kami no Kaze

Le vent divin   Kami no Kase

 

La bourrasque est une juste et élégante liaison de l’automne et de la forêt pour recueillir la frondaison des ocres. Les feuilles collées au vent virevoltent, certaines s’élèvent choisissant les hauteurs, d’autres plus nombreuses rejoignent leurs compagnes jonchant le sol déjà bien épais. Quelle joyeuse fin de vie que cette danse, acteur inspiré expirant sur les planches de sa vie. 

L’air en mouvement transporte aussi la pénombre qui comme un linceul trempé dissipe les reliefs, englobe tendrement les rondeurs et les aspérités de la terre, masquant les apparences. 

Je naquis une nuit en ce temps de novembre. L’enfant, innocent des calendriers, le découvrit au moment où l’école décida que cela devrait être gravé.

Nom…Prénom …Date de naissance …

Comme une sanction niant et reléguant ainsi cette bouffée de lucidité qui m’envahit chaque fois que la pluie chargée de vent et de feuilles rougies, englobe mes alentours. Cet instant, englouti dans les jours et dans les nuits de l’automne mûrissant, me traverse régulièrement, réveillant une immense tristesse incompréhensible. Peut-être est-ce juste cet élan timide, un vague souvenir qui pointe du fin fond des entrailles, peut-être est-ce le vent racontant l’histoire, amical commérage divin à mes instances oubliées. Ce qui apparaît là dans l’estomac tordu serait-ce ce manque profond dû à une ignorance tenace ? 

Vaquant au vent, le visage rempli de pluie, au cœur de ces instants mouillés et cinglants, je voudrais être à nouveau nu et sans entrave, l’air glacé traversant mes peaux me lavant enfin et à tout jamais. 

Vaquant sous le vent, comme un grand chêne l’écorce rageuse et rugueuse, ruisselante sous l’averse, je chanterai dans la langue de la forêt décryptant les hiéroglyphes gravés dans l’espace d’entre les troncs.

Vaquant dans le vent, comme un grand pin secouant ses aiguilles tendres et vertes, espiègle je piquerai le dieu vent lui racontant les dernières nouvelles de mon âme. 

Avez-vous déjà rencontré  le vent ? Vous êtes-vous présenté ? L’avez-vous honoré ?

Tout est tranquille dans cette douce immobilité. Rien encore ne peut présager de la rafale. Pourtant il semble qu’elle soit déjà là, se ramassant avant de s’élancer.  Les oiseaux grands partisans de l’air se rendent soudain invisibles et cessent leurs cliquetis. Le milan royal, perché sur une haute branche, doit aiguiser ses plumes avant de s’élancer avec joie dans la tourmente. 

La gorge offerte, les yeux posés dans les nues, je guette le grand souffle.  Il s’entend maintenant, frottant la cime des gros arbres alors qu’à leur pied rien encore ne bouge. Le vacarme s’approche, inquiétant présage de la force à venir, noble anxiété attisée par le bourdonnement approchant. 

Il passe, il tourne sans encore s’engouffrer entre les troncs. Puis soudain, 

le tapis de feuilles se ramasse, elles se collent dans leur multitude, épaisseur  présente et homogène, faisant le dos rond, se rassemblant. Leur mission est désormais de se fondre et d’abreuver la terre, monseigneur des airs n’y pourra plus rien. 

Enfin, le  Grand Vent est là. Il s’enroule aux troncs, secoue les bois et déjà quelques ramures desséchées s’arrachent, s’écrasant et rejoignant en plusieurs fragments le sol moelleux du feuillage agglutiné. Les grands troncs grincent, coincent, crissent, dansent parfois au bord de la rupture, s’ébrouant aguichés par le mouvement et le risque. Un peu plus loin, les broussailles et les fourrés bruissent, le peuple des petits oiseaux enfouis dans leurs plumes goutte peut être la quiétude de l’antre du roncier. Dehors le vacarme s’amplifie, noyé dans l’air déplacé, offert au vaste courant d’air, j’aspire, je m’offre, peut être vais-je m’élever subitement dans les hauteurs, rejoindre la grandeur des arbres ?

Les milans sont déjà dans le ciel et virevoltent, pirouettent, gambadent et sur des vagues invisibles, ils se roulent.

Debout je tangue, me fais léger, recevant … Cela s’engouffre, vague indicible allégeant les pesanteurs, défiant la gravité, inondant les lourdeurs et enfin surprenante étrangeté, me réconfortant à la terre. Les yeux grand-ouverts, l’air frappe ma pupille, tirant des larmes de plaisir qui s ‘écoulent au raz de tempes. Des yeux trempés qui servent enfin à ne plus regarder. 

Le vent est voyage et transporte les odeurs, les douces quiétudes des touffeurs du sud, les piquantes froidures, les averses réconfortantes et bien d’autres choses insoupçonnées. 

Maître des airs, il n’est pas toujours tonitruant et se manifeste par de petites brises, même assez souvent dans l’immobilité se propage un courant, une ambiance passante que nous pourrions attraper quand cela remplit pudiquement l’espace. Les arbres, les roches, la mer apaisée, les brumes immobiles, nous parlent avec le langage du vent.

Nos voyageurs nantis aux regards avides semblent hypnotisés. Ils laissent échapper les perceptions invisibles. Le vrai pèlerin, lui ne regarde pas, car ses yeux le trompent à chaque arrêt sur l’image et cela il le sait. 

Nous pourrions à son exemple humer les effluves traversés.

Le dos, déployé et fier tel une grande voile, antenne captant des signaux encore incompréhensibles. Ces lombes même bancales, déployées jusqu’à la nuque accueillent, perçoivent, éprouvent. Le cou prolongement d’une poitrine large, ouverte, libéré des éternelles écharpes, reçoit sans savoir, sans comprendre. Et puis nous avons les côtés du crâne, ah … ! les côtés du crâne, le radar du tigre, enfin le ventre, le maître ventre, intuitif et audacieux.

Tous nous sont autant de réceptacles, dignes de confiance.
Laisser faire, s’abandonner, se déposer, se confier à notre corps.
Alors nos yeux s’écarquillent de joie et de surprise.

 

Bernard Bleyer